Alimentation, santé globale 5 min
Joël Doré, la fibre collective
De l’enthousiasme, une voix douce, de la modestie et beaucoup de pédagogie. C’est ce qui distingue Joël Doré, directeur de recherche à l’unité Microbiologie de l'Alimentation au service de la Santé (Micalis) et directeur scientifique de l’unité MétaGénoPolis au centre Île-de-France – Jouy-en-Josas d'INRAE. Son domaine de prédilection ? Le microbiote intestinal, qu’il étudie sous toutes ses coutures. Rencontre avec un passionné, qui fait tomber les idées reçues sur les microbes peuplant notre corps.
Publié le 20 novembre 2017
Depuis son arrivée à l’Inra il y a 33 ans, Joël Doré travaille sur le microbiote intestinal. Celui des animaux dans un premier temps, puis, huit ans après, sur celui de l’homme. « Ce qui frappe, ce sont ces 100 000 milliards de bactéries qui nous habitent : nous vivons avec des microbes toute notre vie, et c’est cette connivence de notre corps avec ces derniers qui nous protège des grandes maladies de la société moderne » raconte Joël Doré. Ces dernières, qu’elles soient métaboliques, dégénératives, neurologiques ou inflammatoires sont nombreuses, et toutes dues à une déviation de notre microbiote. « Le Laurier “Recherche agronomique” est une récompense immense pour moi : j’ai eu la chance de garder le même objet de recherche toute ma carrière, ce qui donne une véritable visibilité à cette thématique. C’est également la reconnaissance du travail collectif que j’ai pu accomplir avec tous mes collaborateurs » explique-t-il en souriant.
De la recherche à la transmission
Lorsqu’il arrive à l’Inra, Joël Doré travaille sur le site de Clermont-Ferrand pour construire un réseau européen sur le microbiote intestinal. L’objectif : montrer que l’ « on ne fait plus de recherche seul dans son coin : le travail d’équipe est extrêmement important ». Puis, progressivement, son métier bascule de la recherche à la transmission. « J’ai changé de métier plusieurs fois, et c’est venu tôt pour moi car mon ancienne directrice m’a confié son équipe lors de son départ. L’Inra m’a donné les moyens de m’épanouir ». Et il le rend bien, puisqu’il a réussi à communiquer sa passion, entre autres, à Harry Sokol et Patricia Lepage dont il a co-encadré la thèse de doctorat. Ces derniers travaillent désormais tous deux sur le microbiote intestinal, sur une bactérie intestinale anti-inflammatoire et candidat médicament pour l’un, et sur l’efficacité des microbes comme adjuvant dans les traitements anti-cancer pour l’autre.
Quand la science rencontre l’innovation
L’Inra m’a donné les moyens de m’épanouir
La technologie, et plus particulièrement la robotique, a modifié de façon durable les manières de travailler sur le microbiote. Joël Doré explique que certaines manipulations comme l’extraction d’ADN, qui se faisaient « sous les hottes, en blouse » et prenaient jusqu’à quatre jours, sont réalisées en à peine quelques heures aujourd’hui. La standardisation des méthodes est un élément très important dans la recherche : elle permet d’arriver à des résultats plus fiables puisque réalisés à l’identique. Cela a notamment permis l’émergence de start-ups dans ce domaine, comme Maat Pharma, à laquelle Joël Doré dédie 20 % de son temps. « Je travaille beaucoup avec David Petiteau par exemple, le business developer du domaine d’innovation Micro-organismes de l’Inra. J’apprécie cela car nous sommes très complémentaires : j’apporte la science, et lui le business. C’est un pan de l’activité essentiel à l’heure actuelle. »
Une hygiène de vie
Mais il n’y a pas que la recherche dans sa vie. Que ce soit des via ferrata, des falaises, des arbres, ou même… des bâtiments, Joël Doré, lorsqu’il n’est pas dans son bureau ou au laboratoire, pratique l’escalade. « Je me souviens, le store de l’un des bâtiments du centre était cassé, personne ne bougeait, j’ai donc escaladé la façade pour le réparer » raconte-t-il en riant. « Je fais de l’escalade une fois par semaine avec ma femme. Je cours aussi depuis tout petit, et maintenant, avec mes enfants : j’ai fait un marathon avec ma fille récemment, et du trail avec deux de mes enfants ».
Prendre soin de son microbiote
Chassez la recherche, elle revient au galop… « Avant, lorsque l’on me demandait si mes recherches m’avaient amené à modifier mes habitudes alimentaires ou mon mode de vie, je répondais non. Mais maintenant, c’est entré dans ma vie quotidienne ! Je prends soin de consommer beaucoup de fibres, je ne mange jamais un seul fruit ou un seul légume, je fais toujours des mélanges, diversité oblige... » précise-t-il, le regard pétillant au-dessus de ses lunettes. Son dessert préféré ? Il préfère une salade de fruits à n’importe quelle pâtisserie. Par ailleurs, il « bricole » ses propres fromages, pains, yaourts et même, plus récemment, son vin. « J’apprécie cela car c’est un exercice qui consiste à dompter des microbes : c’est vivant, avec tous les aléas que cela représente. Le vin est beaucoup plus compliqué car il y a une technicité que je ne maîtrise pas encore ».
Des microbes pour nous soigner
L’espoir de Joël Doré ? Que nous prenions enfin en compte la symbiose (l’interaction entre nos cellules humaines et nos microbes) afin de mieux contrôler les maladies, que ce soit dès la nutrition, en prévention, ou comme solution thérapeutique. « Aujourd’hui encore, le microbe est vu comme quelque chose de négatif… Mais ce sont les relations entre nos cellules et les microbes qui nous protègent ! ».
Penser la recherche de demain… et d’après-demain
Pour Joël Doré, la recherche a, pour le moment, décrit le microbiote d’une personne en bonne santé, mais aussi de personnes atteintes de certaines grandes maladies de la société moderne (Alzheimer, obésité…). Son objectif, pour les années à venir, est de parvenir à améliorer la connaissance fine du microbiote, mais aussi de développer des outils afin d’arriver à une véritable personnalisation de la nutrition et de la médecine. « Il faut augmenter les apports en fibres de "Monsieur Tout-le-monde" » suggère-t-il. « Aujourd’hui, le dialogue entre l’homme et ses microbes est très souvent déstructuré, ce qui peut entraîner un cercle vicieux fragilisant. Plus notre microbiote est pauvre, moins nous répondons aux régimes ou aux soins, et les maladies chroniques appauvrissent le microbiote… » conclut-il.
Né en août 1959, marié, 3 enfants (qui font respectivement du droit, du commerce international et de la communication digitale)
Formation
DEA de physiologie animale appliquée, 1983 : entre à l’Inra pour un stage pour ce DEA ; puis il fait une thèse au département des sciences animales à l’université de l’Illinois Urbana-Champaign aux États-Unis, en tant qu’attaché Scientifique Contractuel Inra.
Carrière
- 1992 : dépose son premier projet européen
- 2010 : devient l’un des cinq directeurs adjoints de l’institut Micalis, qui associe l’Inra et AgroParisTech.
- 2012 : directeur scientifique de MétaGenoPolis
Hobbies
Escalade (surtout dans l’Estérel), via ferrata, course, fabrication de son vin, son fromage, son pain…
Prix
- Il a reçu, avec Stanislav Dusko Ehrlich, le Prix Scientifique 2014 de la Fondation Simone et Cino del Duca pour ses travaux sur le microbiote et la description du métagénome intestinal.
- En 2016, il reçoit la médaille d’Excellence Dupont Nutrition et Santé pour ses recherches sur le microbiote intestinal et son rôle dans certaines pathologies chroniques.
- Laurier « Recherche agronomique » en 2017
- Lauréat d'une bourse ERC « Advanced grant » 2017.